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| Sujet: Bab Ezzhar : El Mostafa Bouignane Mer 31 Juil - 3:53 | |
| " /> Bouignane et sa belle entrée en littérature par «La Porte de la chance» (Article d'Abdellah Baïda in "Le Soir" du 2 au4 juillet) Les enfants rencontrés dans le roman de Mahi Binebine, « Les étoiles de Sidi Moumen », que j’évoquais ici la semaine dernière m’ont immédiatement fait penser à un autre récit qui a bien su mettre en texte cette enfance marocaine saccagée. Il s’agit de « La Porte de la chance (Bab Ezzhar) » d’El Mostafa Bouignane (Ed. Marsam, 2006, 114 pages, 50 DH). Un pétillant petit livre malgré certaines coquilles qui nous font grincer des dents lors de notre cheminement à travers l’histoire surtout quand on tente d’avancer au rythme du diablotin Rouiched, ce héros qui ne pleure plus car « il avait épuisé toutes les larmes de son corps à force d’être rudoyé, bâtonné, fouetté, pis qu’un âne. » (p.. C’est le premier roman d’El Mostafa Bouignane (essayons de bien retenir son nom sans l’écorcher comme l’a fait l’éditeur en écrivant sur la couverture « Bouigane » !) qui est enseignant de français à Fès et un féru du cinéma. Si je donne cette dernière précision c’est parce que l’auteur n’a pas manqué de l’exploiter largement dans son œuvre. La scène d’ouverture est très expressive à cet égard ; voici les deux premières phrases du roman : « Rouiched était parmi le groupe de gamins qui formaient cercle autour de Dosti sur la petite place de Bab Ezzhar. Dosti, un grand garçon boiteux et un peu simple d’esprit, leur racontait le film hindou qui passait cette semaine-là au cinéma du quartier » (p.5). Mais la réalité de ce quartier est plus impressionnante que le cinéma hindou, on en aura la preuve en suivant Rouiched dans ses mésaventures tout au long des 13 chapitres du roman. Jamais de répit pour le gamin, à peine une lueur de joie apparait qu’un incident survient pour faire déchanter l’enfant. Le récit alterne savamment des moments d’espoir et ceux des déboires : Rouiched était absorbé par ses jeux quand la poigne de fer d’El khammar, son père, s’abat sur lui et le traine à la maison à coups de pied et d’injures. Dans cette grande maison pauvre, on rencontre plusieurs familles qui se partagent la misère. El Khammar sème la terreur chez lui notamment quand il est en manque de sa dose d’alcool. Les membres de la famille « avaient donc appris à considérer la bouteille comme une alliée, un peu comme une tante affectueuse qui les protégeait des sévices de leur père. Entre eux, ils l’appelaient Amti Lqarâa, Tante Bouteille » (p.17). Bouignane ne manque pas d’humour même dans la noirceur tout en respectant la répartition : A chacun son plaisir et ses déconvenues ! Les enfants s’amusent tant bien que mal entre la fréquentation hebdomadaire du cinéma et les bagarres rangées avec les gamins du quartier des Apaches. Ces petits ainsi que les adultes portent des sobriquets qui trahissent leurs tares ou leurs exploits ; on se croirait chez les indiens. Nous avons donc évoqué Dosti qui tient son nom du film éponyme et qui, comme le protagoniste du cinéma hindou, est pauvre et boiteux. Le gamin Binbi-la-branlette, comme son nom l’indique, trouve son plaisir du côté du personnage biblique Onan ; on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Le concurrent de Rouiched à la tête de la bande de Bab Ezzhar s’appelle Grosse-Tête même si « son énorme tête ne lui était pas d’une grande utilité pour réfléchir, elle lui servait en revanche à donner des coups foudroyants » (p.6). Tant mieux ! C’est un milieu où c’est plutôt la force physique qui prime. Rouiched ne manqua pas de le remarquer lorsque la vieille télé faisait des siennes et contrariait ainsi l’envie de voir le film mexicain qui tenaillait sa sœur. Celle-ci a vite fait de donner un coup à la télé et ça marche ! Et Rouiched, qui en connait plusieurs chapitres pratiques en matière de maltraitance, de pester : « Foutue maison où tout marche avec des coups ! » (p.89). C’est qu’on ne plaisante pas avec cette lucarne. El Khammar qui vend tout ce qui est commercialisable pour avoir sa dose d’alcool a été tenté mais il a trouvé une farouche et exceptionnelle opposition : « lorsqu’il enveloppa le poste de télévision dans un drap pour l’emporter, la mère de Rouiched s’enveloppa dans un autre, prit son dernier né par la main et dit : - Si cette télé s’en va d’ici, je m’en vais aussi. » (p.88). On ne badine pas avec la dernière goutte du rêve. Chacune des maisons de ce quartier populaire de Bab Ezzhar tente de capter sa dose des illusions. Bouignane exprime ce phénomène par une belle image : « […] cette dense floraison de paraboles sur les toits, toutes tendues vers le ciel comme sébiles de mendiants, quémandant un peu de rêve, un peu d’oubli » (p.95). On voit à travers ce récit comment un enfant grandit trop vite dans ce milieu même s’il ne mange jamais à sa faim, on le bat à l’école et il la quitte, on l’exploite et il cherche les ruses pour s’en sortir… et il attrape les bribes des rêves qu’il trouve. Ainsi, à l’issue de maints rebondissements, le protagoniste de « La Porte de la chance » a grandi en un bref laps de temps : « Les événements vécus depuis la veille l’avaient vieilli de plusieurs années en lui enlevant ses dernières illusions d’enfant » (p.114). Nous attendons impatiemment un deuxième roman d’El Mostafa Bouignane qui a fait ici preuve d’une grande imagination et d’un art certain. Abdellah Baïda
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