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Messages : 461 Date d'inscription : 24/02/2008
| Sujet: Intervention de A.bennani lors de l'hommage rendu par Larache à Juan Ramon Jiménez Lun 11 Aoû - 3:37 | |
| Le génie poétique de Juan Ramon Jiménez
Je tiens tout d’abord à remercier les organisateurs de cette rencontre entre les cultures (entre les langues, aussi) ; l’Association Dar Laraich en la personne de son président et fondateur notre ami l’écrivain Mohamed Laabi et l’Association Al Qantara de Moguer car c’est grâce à eux que j’ai connu l’orgueil de Moguer (Je ne fait que rapporter ici les paroles de l’une des chanteuses du flamenco qui nous ont charmé hier). Lu quelques passages du chef d’oeuvre de la littérature espagnole du vingtième siècle « Platero et Moi » que lisent les petits d’Espagne dans les écoles en sa mémoire (j’ai vu cela sur le net quand je cherchais des infos et cela m’a beaucoup ému). Eu la chaire de poule en écoutant la déclamation de ses poésies en arabe et en espagnol par le duo Luis Manuel de la Prada de Moguer et le compatriote Khalid Raissouni lors de l’inauguration. Joui, non jusqu’à éjaculation comme dirait ce poète hors paire, mais jusqu’à atteindre la sublimation, en quelque sorte. Je les remercie donc au nom de l’association internationale « Voces de Poetas Sin Fronteras » qui œuvre pour le multilinguisme et que je représente ici en tant que membre du comité. Je les remercie aussi au nom de Luis Arias Manzo secrétaire général du Mouvement Poetas Del Mundo qui suit avec intérêt cette grande manifestation culturelle.
Juan Ramon Jiménez, prix Nobel de littérature en 1956, est considéré comme l’un des plus illustres poètes espagnols de notre temps. Son œuvre la plus répondue reste sans doute « Platero et moi », chef-d’œuvre en prose poétique où l’auteur et son âne de métal, de couleur grise, synthèse de tous les ânes se ressemblant, ne feront plus qu’un à la fin. C’est-à-dire qu’il va y avoir une fusion animal/homme (ou homme/animal ?), c’es à dire que Platero va s’humaniser et acquérir une spiritualité complète. On croirait, à première vue, que le lyrisme de cet ouvrage se limite à la vision du monde intérieur de son auteur, mais non, cette vision dépasse la nature, focalise sur la société, dénonce ses défauts et construit surtout un exemple pratique de pédagogie et de morale humaine.
Cet illustre poète, génie en son temps, considéré longtemps comme un fou par ses voisins de Moguer, à Huelva, jusqu’à obtention du prix Nobel, décrochera son bac à l’âge de 15 ans, écrira ses premières poésies à l’âge de 17 ans et publiera son premier recueil « Nuages » à l’âge de 19 ans. Mais à 20 ans, il va montrer ses premiers signes de dépression et sera interné dans un asile. Des dépressions espacées avant ses 45 ans puis, plus fréquentes jusqu’à sa mort en 1958 à l’âge de 77 ans. Si mon compte est juste, Juan Ramon Jiménez a fait 60 ans de poésie. J’ai envie de dire qu’il a vécu 60 ans de poésie car pour lui, la poésie était Tout (avec un grand T). Il était entièrement poète, poète à tout temps, poète à tout moment et ne concevait pas d’existence sans elle. Il la considérait comme une attitude dans la vie où se rencontrent morale, religion, politique et art.
«Les choses donnent le jour Moi je les aime, et elles, avec moi, en un arc-en-ciel de grâce elles me donnent des enfants, me donnent des enfants.»
C’est de la poésie dont il parle :
« La poésie… cette éjaculation. Quel délice ! de l'esprit. »
Et que lui donnent les extases de ces poésies?
«Me dan hijos, me dan hijos.» dit-il.
Juan Ramon Jiménez possédait la magie du mot émanant de ces termes répétitifs qui n’ont de répétition que les lettres et non le sens. Le sens, lui, vous transporte, vous envoûte, réveille en vous toutes les sensations dont la seule, la vraie poésie est maîtresse. Un riche répertoire pour les linguistes et les pédagogues; « Platero et Moi » va dans ce sens. Advenez qu’on n’en trouve pas deux tous les cent ans dans un même pays. Certains, et pour raison, le considèrent comme un écrivain de génie. Et quand on a du génie, on a certainement plus que du talent. C’est avoir la faculté supérieure de la conception, de l’imagination, de la perfection, de la création d’un chef-d’œuvre… Juan Ramon Jiménez cherchant cette perfection, était souvent mécontent de ses écrits au point de les soumettre continuellement à des révisions et à des changements avec un fin esprit critique. « J’essaie- écrit-il dans « Le Courant Infini » – de faire de la poésie tel un créateur. D’abord je fais une critique de ma propre création, ensuite je fais une critique poétique générale comme si je n’étais pas un créateur. »
Un écrivain de génie, selon Balzac, est l’expression de son siècle. Ou bien il « ressemble à tout le monde » en éveillant en nous les idées confuses du vrai dont nous n’aurions pas conscience, sans lui. Ou bien « personne ne lui ressemble » et nous étonne par l’invention de son univers qui nous apprend à voir le monde avec des yeux nouveaux. Il reste que le génie a quelque chose qui dépasse son siècle car il s’adresse aux hommes de tous les temps, raison pour laquelle il n’est pas reconnu de son vivant. C’est sans doute pour cela que Juan Ramon Jiménez n’obtient son Nobel qu’à 75 ans, deux ans avant sa mort. Le journaliste français Philippe Lançon de « La Libération » de Juin 2005 dit en ces termes : « En France, on ne connaît pas le poète espagnol Juan Ramón Jiménez. C'est comme si Verlaine était ignoré en Espagne. » Et qui dit France, dit Maroc « francophone ». Il y a des gens, ici même, qui sont venus exprès ce soir pour connaître cet homme à moitié chauve et portant une barbe qui apparaît sur les affiches, dehors, alors qu’il se repose dans sa tombe depuis un demi siècle. Avec « Platero et Moi » Juan Ramon Jiménez a introduit le poème en prose en Espagne dès 1898. Cette prose poétique n’était pas juste une imitation des voisins poètes français tels que Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud, mais répondait à la nécessité de communiquer les plus hauts des sentiments. Dans ses « Livres de prose » s’ajoutent, sous le titre « Proses variées » les premières œuvres publiées entre 1898 et 1903. Il en dit : « Mon premier poème était en prose et s’intitulait « Anden », le second était improvisé en une nuit fébrile quand je lisais « Les rimes » de Becquer. C’était une copie auditive de l’une d’elles ». « Au début du siècle passé, Juan Ramon Jiménez allait marquer la poésie de langue espagnole qui devenait bavarde et superficielle avec quelques autres poètes (souvent latino-américains), pour la simplifier, la concentrer. Selon Philippe Lançon de la Libération » Et ce fut le «modernisme». Un modernisme qui va vers l’intellectualisme créateur supposant la nouvelle interprétation de la sensibilité. Voici un exemple de son fameux poème :
Intelligence, donne moi Le nom exact des choses ! Que ma parole soit La chose même Créée de nouveau par mon âme.
Depuis tous les temps, les poètes, vrais ou faux, de talent ou de dimanche essaient de définir la poésie. Cet essai persiste même de nos jours sans qu’on puisse en arriver à bout. Juan Ramon Jiménez n’a pas essayé de chercher midi à quatorze heures et le dit carrément ici : « La poésie, principe et fin de tout, est indéfinissable. Si elle pouvait être définie, celui qui la définirait serait le propriétaire de son secret, son maître, le vrai, le seul dieu possible. Et le secret de la poésie on ne l'a pas su, on ne le sait pas et ne le saura jamais personne. La poésie n’admet pas de dieu. Heureusement, pour Dieu et pour les poètes. »
La poésie n’a ni dieux ni conquérants, elle a juste des disciples qui nagent dans un doute éternel qui est l’essence même de la poésie.
« La conquête de la poésie est comme celle de l'amour, dont nous ne saurons pas si son secret est le nôtre, et nous comptons pour toujours avec la beauté et la force de ce doute. » dit-il.
J’ai envie de conclure mon intervention par cette modeste traduction de ce poème o combien beau, signifiant et significatif de Juan Ramon Jiménez intitulé « Adolescence ». Beauté et décence n’enlèvent pas son charme au poème d’amour. Nul besoin d’être vulgaire pour passer un message érotique usant des termes grossiers comme si nous étions dans une classe d’anatomie humaine.
Adolescence
Sur le balcon, un instant nous restâmes seuls, tous les deux. depuis le doux matin de ce jour, nous étions fiancés.
Le paysage somnolent couchait ses vagues tons, sous le ciel gris et rose du crépuscule d’automne.
Je lui dis que j’allais l’embrasser ; elle baissa, sereine, les yeux et m’offrit ses joues, comme qui va perdre un trésor.
Les feuilles mortes tombaient, dans le jardin silencieux, et dans l’air flottait toujours un parfum d’héliotropes.
Elle n’osa pas me regarder ; je lui dis que nous étions fiancés, …et les larmes roulèrent de ses yeux mélancoliques.
Intervention de : Abdelouahid Bennani
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