SUR LA POINTE D’UNE EPEE
Sur la pointe d’une épée gisait une ville, suspendue par une main d’argile.
Les amas de sable qui avaient pris rendez-vous dans cette page perdue de l’histoire, il y a bien des millénaires, s’étaient enfin rassemblés pour le jour « J ».
L’épée, pendant ce temps se rouillait. Des traits fins apparaissaient sur ses deux faces. Ils se remplissaient de graisse et de crasse.
Les gens de la ville suaient à l’approche du jour « J ». Ils étaient toujours maigres, les homes de la ville. Leur peau transparente laissait voir un squelette mal fait. Ils étaient pliés en deux. Ils se penchaient constamment pour regarder d’en haut cette main. L’étrange main qui s’était emparée de l’épée.
Ce fut en un jour d’été quand tout le monde quitta la ville. Il n’ y avait qu’un vieux portier qui assurait sa garde.
La ville n’avait qu’un portail. Il donnait sur le nord. Le nord était une vaste plage. La plage un conduit d’égouts. Dans les égouts se mêlaient l’eau puante et les cadavres tranchés par l’impatience et la calomnie.
Les autres continuaient de vivre. Le vin ne manquait pas. Chacun disposait d’un bidon en plastique accroché à son cou, en cas de besoin immédiat.
Les affiches publicitaires jaunies par le temps n’étaient accrochées que par les deux bouts inférieurs. Elles étaient témoin d’un temps lointain.
Le temps avait accéléré ses mouvements depuis le vingt unième siècle. On ne savait plus en quel siècle on était. On avait perdu la notion du temps.
La ville en était à son denier souffle. Les amas de sable étaient en action. Ils avaient déjà enterré la main. Il n’en restait qu’un vaste souvenir. Les gens de la ville se souvenaient avoir embrassé des femmes avec des étoiles sur le buste. Des hommes avec des plumes entre les cuisses.
La lumière et l’encre s’étaient épuisés à l’approche du jour « J ».
Le jour « J » montait un noir cheval volant. Il frappait de ses talents pointus l’abdomen de la bête. Et de son fouet, arrachait sa queue. Ses galops faisaient tourner les pages déjà blanchies de l’histoire.
La ville était une illustration quelque part sur ses dernières pages non numérotées.
L’épée s’asphyxiait. Les amas de sable envahissaient la ville.
La folie enchaînait les âmes. Le Kif n’y était pour rien. Les charmeurs des serpents avalaient leurs dernières couleuvres. Les femmes, la dernière bouchée qu’elles avaient faite de leurs enfants. Les hommes leurs dernières cigarettes.
La vie était une fumée empoisonnée par les verbes. Les verbes coulaient entre les fissures de la ville des hommes.
Le jour « J » brûlait de sa colère le sommaire et l’envers d’une œuvre qu’on nommait Univers.